Ô Orage.

Il y eut ce soir.
J'étais le Tout de l'Instant.
La vapeur bienfaitrice des vins du Sud,
Le rythme cadencé de vos cœurs, 
La fraîcheur de la nuit tombante et les flammes que l'on allume,
La chaleur de vos bras autour de moi,
La douceur de l'herbe et le parfum des fleurs que l'on cueillait ensemble hier,
La voix contre mon oreille et tes mots qui me touchent tant,
Les corps dans le mouvement et les regards emplis d'ivresse...

J'étais le Tout, un instant, et j'ai dansé avec vous, mouvante, flottante.
J'avais des ailes tout à coup, et comme l'impertinence de me fondre dans le vent, de faire mien le temps.

Prise dans le courage de l'Instant, j'ai traversé vingt années, et c'est le Passé que je fus.
Ce moment précis où tout a changé.
Tes yeux éteints sur le ciel
La douleur et la gratitude.
L'absence, le vide et la conscience tout à la fois,
Les larmes salées marquants mes joues et comme un sourire,
La joie de...la...vie...

J'avais défié le temps, la mort peut-être aussi.
Je me sentais inébranlable et éternelle.
J'étais vaniteuse, aussi.

...

Alors tu es venu.

Tu as paré de gris lourds et menaçants les nuages du soir,
Et tu as fait devenir fou le vent.
Les arbres se sont mis en mouvement
Et ton fracas a retenti sur la vallée.

J'ai senti tes vibrations jusque dans mes os, et ta colère emprisonner mon sang.
J'étais comme le Tout de cet instant,
L'abattement de l'herbe sous les gouttes lourdes et glacées,
La précarité des branches dans la menace incessante d'une rupture.

Et alors que je fus l'incertitude de ce monde face à l'orage,
C'est tout à coup ma propre vulnérabilité que j'ai habité...

J'étais moi.
Effrayée.
Tremblante dans les éclairs pénétrants la pièce.
J'ai ressenti le froid de l'intérieur, la faiblesse de certains des battements de mon cœur.
J'ai éprouvé l'inconstance du monde, dehors.
J'ai souffert ma solitude et goûté mon besoin de tes mots, de tes bras.
J'ai pleuré le passé tout à coup,
J'ai saisi, malgré l'acceptation nouvelle, cette tristesse qui serait à jamais...

J'ai eu peur et mon corps s'est recroquevillé jusqu'au plus profond de la nuit.
Seule, vulnérable et épuisée, mes yeux se sont fermés dans l'espoir.
...

Tout est calme ce matin.
Mais tout a changé pourtant.

Le mouvement a été violent, il me laisse perdue.
Certaines branches sont manquantes sur les arbres tout autour.
Les feuilles tapissent le sol du chemin, elles masquent presque son trait...

Mais le chant des oiseaux semble plus intense après le silence, et c'est comme si chaque éclair de la nuit avait empli de couleurs nouvelles le monde tout autour.

Et mes émotions, mon cœur sont tout entiers parés d'une dimension nouvelle...

Ou suis-je et par où dois-je aller?
Que dois-je faire de ce qui m'habite et des mots que j'ai pour toi?
Je ne sais.

Je suis simplement le Tout de cet Instant chancelant...




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