Double regard
Je le garde pour le soir...
Quand il me parle de ses années à Combray, garçon, et de ce moment là, couché dans son lit, où il attendait que sa mère monte les escaliers et vienne l'embrasser ; je revis alors toutes mes sensations de la journée lorsque je pense à son livre...
Je le garde pour le soir.
Je ne veux pas être dérangée.
Pouvoir le refermer quand bon me semble.
Être la plus libre possible dans ma lecture.
Alors tout au long de la journée, lorsque certaines choses semblent mornes, je pense à lui.
Je le vois, trônant sur ma table de chevet, le haut de son côté droit un brin corné, la jointure parfois râpée mais fier d'être encore présent malgré les années et conscient, sans en avoir l'air, du trésor qu'il recèle...
Je le vois et tout à coup mes battements cardiaques s'apaisent, mes muscles se délassent et mon corps semble moins dense : je sais que ce soir, j'aurais un moment...
Et plus l'instant approche, plus je laisse les choses trainer en longueur.
Chacun de mes gestes se fait plus lent...
Je profite jusqu'au dernier instant du délice de l'attente.
Et alors, saoule de ces minutes interminables, j'ouvre le livre.
Ce soir, une merveilleuse surprise m'attendait.
La madeleine.
"Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d'un triste lendemain, je portai à mes lèvres une cuillerée de thé où j'avais laissé s'amollir un morceau de madeleine. Mais à l'instant même où la gorgée mêlée de miettes de gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d'extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m'avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause. Il m'avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu'opère l'amour, en me remplissait d'une essence précieuse : où plutôt cette essence n'était pas en moi, elle était moi. J'avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel." ...
Et voilà que Proust poursuit sa quête, me détaillant chacun des processus que met en place son esprit pour retrouver le souvenir...
Je me dis alors que cet homme là ne vivait pas dans un même espace temps que le mien...
Je me demande comment il est parvenu à rendre avec autant de justesse et de détails, le savoir faire de son esprit...
Parce qu'il y a la maîtrise des mots oui, qui doivent rendre parfaitement le ressenti, mais avant cela il y a autre chose...
La vie et la sensation de vie.
Ce possible, qui semble inatteignable, de poser un regard sur sa propre vie intérieure, sur ses sensations et émotions et sur la façon dont son propre esprit mène les choses.
Ça me semble fou ! Impossible !
Et je me demande si ce que j'écris là a un sens...
Proust serait à la fois à l'intérieur de son corps, en train de vivre ces sensations si génialement humaines, mais également à l'extérieur, en observateur du processus...
J'ai besoin d'un temps pour digérer tout ça.
Je le garde pour le soir...
Quand il me parle de ses années à Combray, garçon, et de ce moment là, couché dans son lit, où il attendait que sa mère monte les escaliers et vienne l'embrasser ; je revis alors toutes mes sensations de la journée lorsque je pense à son livre...
Je le garde pour le soir.
Je ne veux pas être dérangée.
Pouvoir le refermer quand bon me semble.
Être la plus libre possible dans ma lecture.
Alors tout au long de la journée, lorsque certaines choses semblent mornes, je pense à lui.
Je le vois, trônant sur ma table de chevet, le haut de son côté droit un brin corné, la jointure parfois râpée mais fier d'être encore présent malgré les années et conscient, sans en avoir l'air, du trésor qu'il recèle...
Je le vois et tout à coup mes battements cardiaques s'apaisent, mes muscles se délassent et mon corps semble moins dense : je sais que ce soir, j'aurais un moment...
Et plus l'instant approche, plus je laisse les choses trainer en longueur.
Chacun de mes gestes se fait plus lent...
Je profite jusqu'au dernier instant du délice de l'attente.
Et alors, saoule de ces minutes interminables, j'ouvre le livre.
Ce soir, une merveilleuse surprise m'attendait.
La madeleine.
"Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d'un triste lendemain, je portai à mes lèvres une cuillerée de thé où j'avais laissé s'amollir un morceau de madeleine. Mais à l'instant même où la gorgée mêlée de miettes de gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d'extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m'avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause. Il m'avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu'opère l'amour, en me remplissait d'une essence précieuse : où plutôt cette essence n'était pas en moi, elle était moi. J'avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel." ...
Et voilà que Proust poursuit sa quête, me détaillant chacun des processus que met en place son esprit pour retrouver le souvenir...
Je me dis alors que cet homme là ne vivait pas dans un même espace temps que le mien...
Je me demande comment il est parvenu à rendre avec autant de justesse et de détails, le savoir faire de son esprit...
Parce qu'il y a la maîtrise des mots oui, qui doivent rendre parfaitement le ressenti, mais avant cela il y a autre chose...
La vie et la sensation de vie.
Ce possible, qui semble inatteignable, de poser un regard sur sa propre vie intérieure, sur ses sensations et émotions et sur la façon dont son propre esprit mène les choses.
Ça me semble fou ! Impossible !
Et je me demande si ce que j'écris là a un sens...
Proust serait à la fois à l'intérieur de son corps, en train de vivre ces sensations si génialement humaines, mais également à l'extérieur, en observateur du processus...
J'ai besoin d'un temps pour digérer tout ça.
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